La température joue au yo-yo ces jours-ci. L’Outaouais est l’une des régions du Québec qui sera la plus touchée par des épisodes de sécheresse au Québec. Les forêts connaissent déjà des anomalies importantes, les plus fortes pour le sud du Québec, soit la partie plus fortement habitée. Avec les changements climatiques, les risques s’accentueront. Comment les forêts de la région vont-elles réagir? Entrevue avec Frédérik Doyon, professeur à l’Institut des Sciences de la Forêt tempérée (ISFORT) de l’Université du Québec en Outaouais (UQO).
Action Gatineau : Quelles sont les plus grandes forces de nos forêts?
Frédérik Doyon : Avec la Montérégie, nous avons la plus grande diversité d’espèces pour s’acclimater aux conditions changeantes et nous avons des espèces championnes comme les pins, les chênes, et l’érable rouge. Ces espèces sont abondantes et ont une moins grande vulnérabilité face aux risques à venir.
AG : Quels sont les principaux défis à venir?
FD : Nous devons mieux cartographier la vulnérabilité des forêts. Nous avons du « triage » à faire. Je travaille présentement sur le développement d’outils et procédures pour 1) mieux cibler où et quand intervenir et 2) quels types d’intervention forestière pourrait être les plus efficaces pour améliorer la résistance et la résilience des forêts. Jusqu’à présent, les interventions ont comme objectif de permettre l’approvisionnement des usines. Mais il faut dès maintenant faire des traitements à des endroits stratégiques qui, dans certains cas, devront être exécutés sans pouvoir générer des revenus immédiatement, mais qui contribueront à maintenir la capacité productrice du futur. Par exemple, une coupe de jardinage sans récolter la tige, juste pour traiter le peuplement et le rendre moins vulnérable aux menaces futures des changements climatiques.
Présentement, l’usine Fortress de Thurso est fermée, alors il n’y a pas de preneur de pâtes et cela influence l’ensemble des produits de la chaîne de transformation. Nous avons déjà de la difficulté à accoter la possibilité forestière de pâte feuillue, alors si nous ne sommes pas capables d’écouler les produits bas de gamme, nous ne serons pas capables de faire le reste (sciage et déroulage). Cette situation est encore plus problématique en ce qui concerne la possibilité d’appliquer la sylviculture d’adaptation, car celle-ci va demander d’écouler des produits bas de gamme pour pouvoir être réalisée probablement dans plusieurs cas.
Cela illustre la forte interdépendance entre la structure industrielle, la filière bois et réaction de la forêt face aux changements climatiques. Avec les changements climatiques, on va avoir à intervenir pour maintenir des produits de qualité.
AG : Comment s’adapter pour rendre la forêt plus résistante?
FD : Nous avons à nous adapter à deux niveaux : le premier à une échelle d’aménagement, soit de faire une bonne analyse de vulnérabilité, notamment par le triage. Cela permet d’identifier où il est possible de renforcer la capacité d’adaptation du peuplement, et où la « partie est perdue d’avance », pour répartir plus efficacement nos efforts dans l’aménagement de la forêt.
Dans un deuxième temps, il est important d’intégrer la notion de capacité d’adaptation dans le diagnostic sylvicole. Dans un dispositif expérimental de sylviculture d’adaptation dans la région des Bois-Francs et celle de Bellechasse, nous testons deux stratégies pour renforcer les peuplements : la première pour augmenter la diversité selon les fonctions que les espèces jouent dans le peuplement (police d’assurance de la diversité fonctionnelle) et pour donner tous les atouts aux peuplements de réagir aux différentes menaces, sans savoir exactement lesquelles. La seconde stratégie est d’identifier les essences championnes lors de l’aménagement forestier, en incluant les capacités des espèces à se maintenir sous conditions de stress.
Pour établir son dispositif, le Prof. Doyon utilise une nouvelle technologie, le LiDAR terrestre mobile, qui lui permet de cartographie précisément tous les arbres des parcelles forestières du dispositif de sylviculture d’adaptation.
L’été prochain, l’équipe du chercheur réalisera des expériences de stress de sécheresse et de la pression d’herbivorie. Elle étudiera de façon combinée comment les arbres réagissent à ces stress, grâce à de multiples instruments précis. À suivre…